lundi, avril 29, 2019

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blog : madic50.blogspot.com / Livre : Les Deux formes, éd. Amazon


Paris, le lundi 29 avril 2019


CONTRIBUTION (17) AU DEBAT NATIONAL VOULU PAR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE EN 2019.
INDEMNISATION (30) ET PROCES PENAL, MEDIATOR (Suite de la réflexion n°16 du 8 avril 2019, cf. : madic50)


1)- Les faits
L'affaire dite du Médiator est stupéfiante.

Son déroulement professionnel fait apparaître que les temps ont changé mais que les logiques judiciaires sont restées les mêmes.

Elles craquent, dysfonctionnent, entravent, mais ne se réforment pas.

Cette affaire judiciaire comporte tous les ingrédients d'une réforme utile et pourtant les Pouvoirs publics s'arrêtent à son seuil.
a- D'une part, elle met en œuvre toutes les séquences de cette réforme,
b- D'autre part, elle met en scène tous les éléments qui conduisent chacune de ces séquences à l'échec.

Ainsi que le dit un avocat : c’est la logique judiciaire qui est en cause.

Je vais donc commencer par exposer cette logique produite par les instances officielles à l'occasion de l'affaire dite du Médiator.

2)- La logique judiciaire

1- Le procès
Le 23 septembre 2019 se tiendra le procès dit du Médiator.
Le laboratoire Servier, dit « Servier », est renvoyé en correctionnelle pour « tromperie sur les risques du produit », « escroquerie » et « homicide et blessures involontaires ». L’Agence du médicament est aussi sur le banc des accusés.

2- L'indemnisation
Cependant, avant même la tenue du procès, Servier décide d'indemniser les victimes. En 2019, l'entreprise aura versé 115 millions d'euros d'indemnisation à 3600 malades du Médiator.

3- La règle légale
Cette disjonction est encadrée par un dispositif légal.

Le Conseil des Ministres a entériné le 11 mai 2011, la création d'un Fonds public destiné à indemniser les victimes du Mediator et de ses génériques. Ce dispositif a été institué dans le cadre du projet de Loi de finance rectificative pour 2011 et est entré en vigueur au plus tard le 1er septembre 2011.

4- Le point nodal
Cette affaire met donc en scène un droit à l'indemnisation indépendant à l'égard de la procédure pénale.

3)- Le bon vouloir
Cette disjonction du pénal et de l'indemnitaire ne découle pas cependant de la possible indépendance du second à l'égard du premier.

Elle provient en la circonstance de la réponse du gouvernement à ce que l'avocat Charles Joseph-Oudin appelle «combat acharné qui a été mené pour faire jaillir la vérité.» et que les autorités conçoivent sans doute comme une mobilisation politique troublant l'ordre public.

L'indemnisation est alors le fait du Prince. Elle est exorbitante du droit commun.

Elle ne peut arguer d'aucune raison pour justifier de sa présence et de son droit puisque l'entreprise n'a pas été condamnée. Elle n'a pas été reconnue coupable,

Son fondement est donc la charité. Sa mise en œuvre ressort de l'usage du Pouvoir discrétionnaire de l’État et du bon vouloir de l'entreprise concernée.

Son fonctionnement sort de l'espace judiciaire pour être confié à une instance indépendante (l'ONIAM) qui négocie avec l'entreprise présumée innocente l'indemnisation d'une faute pour laquelle elle est sera peut-être acquittée.

Les seules actions légales sont celles qui mettent en scène une indemnisation par l’État et celles qui organisent un contrat entre l'entreprise et les plaignants au terme duquel ces derniers retirent leur plainte en touchant de l'argent.

Dans ce cas, l'indemnisation est le paiement du retrait de la plainte et non l'indemnisation du dol.

4)- Le changement
Cependant, les temps ont changé. La France ne peut plus vivre sous le principe du régime d'exception ; le fait du Prince et le bon vouloir de l'entreprise.

Ce qui était jusqu'à présent un moyen, de déléguer à des administrations indépendantes et aux entreprises visées, voire fautives, la maîtrise d'un heurt judiciaire, rencontre un changement de perception de la part des victimes.
1- La « portion congrue ».
En commentaire de l'annonce de l'indemnisation de 116 millions, Georges-Alexandre Imbert, président de l’Association d’aide aux victimes des accidents de médicaments dit : « Il était temps que ceux qui ont subi dans leur chair des dommages touchent une compensation décente ! Chez nous, c’était jusqu’à présent la portion congrue ».

2- Le « combat acharné »
Un avocat des parties civiles dit à ce sujet :
a- « Au début, ils ont rechigné à verser des indemnités. »
b- « Si les choses se sont améliorées, c’est grâce uniquement à un combat acharné qui a été mené pour faire jaillir la vérité. »
Ce « combat acharné » est ce qu'on appelle couramment un combat politique de masse et durable.

Désormais, la disjonction du pénal et de l'indemnitaire n'est plus seulement une commodité de gestion au profit de l'administration et des entreprises mises en causes.

Elle est devenue le programme de victimes qui se sont politisées à ce titre et en masses.

5)- La référence protectrice

1- La décence
L'affaire du Médiator est au carrefour de ces différents conflits entre cette « portion congrue » qui apparaît comme un passé qui n'est plus accepté et cette « compensation décente » qui se présente comme la modernité qui valide l'action judiciaire.

On passe de la soumission à « la portion congrue » à l'exigence d'une « compensation décente ».

Cette « décence » est tellement nouvelle, si improbable, qu'on en consolide la possibilité par la référence absolue de la modernité que sont encore les Etats-Unis.

2- L'Amérique
La jurisprudence américaine, ou du moins sa légende, devient l'horizon de la réflexion publique :
a: « Aux Etats-Unis, des fabricants ont été condamnés à verser des centaines de millions d’euros à des personnes dont la santé avait été dégradée par les médicaments de la classe des statines, mais en France les victimes n’ont rien eu. Espérons que cette affaire sera un tournant. »
b- « Aux Etats-Unis, des fabricants ont été condamnés à verser des centaines de millions d’euros à des personnes dont la santé avait été dégradée par les médicaments de la classe des statines, mais en France les victimes n’ont rien eu. Espérons que cette affaire sera un tournant. »
c- Rappelons cependant qu'aux Etats-Unis une victimes peut ne toucher que 200 dollars pour avoir eu sa vie saccagée par une personne morale ou l’État. Tout est dans les astuces de sa situation juridique.
6)- L'avenir bloqué
Cette référence à la jurisprudence américaine ne vient pas par le hasard d'une revendication utopique.

Elle reprend les codes ordinaires de l'avant-gardisme américain. Ce qui est américain est constitutif de la légalité car il est l'avenir inéluctable.

Cette référence identitaire signale bien un avenir en même temps qu'il bloque une prise en compte dans celui-ci en l'enfermant dans une réplication impossible.

7)- Les deux opérations de l'imaginaire
Cet imaginaire répond à deux opérations parentes mais distinctes.
1- Les victimes veulent rentrer dans leurs frais.
a- Jusqu'à présent, la justice française est censitaire. Pour plus de la moitié de la population, porter plainte est au dessus de ses moyens financiers.
b- La première revendication des justiciables qui s'estiment dans leur bon droit est la gratuité de leur démarche.
c- Le détour par l'imaginaire partiellement réel de la société américaine permet de répondre à cette question sans affrontements entre les partisans de la justice censitaire et les partisans de la justice universelle ; comme la Sécurité sociale.

Ne perdons pas de vue que l'évolution réelle de la justice va dans le sens du censitaire puisque des juristes ont pu dire que la loi Taubira de 2014 est un pas dans la privatisation de la justice et que celle-ci est conforme aux directives européennes.

2- La place de l'argent dans le procès pénal est en train de changer.
a- Par son ampleur, la référence américaine de l'indemnisation fait de celle-ci l'égale du jugement pénal proprement dit.
Qu'importe au mourant que ses bourreaux n'aillent pas en prison puisque ses enfants seront millionnaires.
b- Les français conçoivent aujourd'hui qu'il n'est pas inconvenant qu'une personne victime d'un dol dispose d'un capital et de ses revenus par décision de justice.

8)- La réforme

1- La nécessité
Les rapports du pénal et de l'indemnitaire sont désormais des affaires non seulement publiques mais politiques.

L'indemnisation ne peut plus continuer d'être un arrangement préalables au procès ou une queue de comète dans un procès.

Elle ne peut non plus continuer d'être la partie honteuse de la procédure judiciaire ni sa « portion congrue ».


2- La méthode
La réforme de l'indemnisation doit répondre aux questions posées par l'exercice du dispositif actuel.

Elle doit s'élaborer à partir des acquis, des contradictions, des constants allez-retours, de la jurisprudence.

Il est alors possible de déterminer quelques principes qui permettent de donner à l'indemnisation sa pleine efficacité et de stabiliser ses rapports au pénal.

9)- Certains principes de l'indemnisation
En examinant l'affaire dite du Médiator par les aspects positifs de son déroulement, nous voyons qu'elle installe certains principes d'un bon usage de l'indemnisation :

1- La distinction du pénal et de l'indemnitaire
L'affaire du Médiator montre que dès qu'il s'agit de masses ou de faits importants, l'indemnisation ne peut plus être placée à la fin du procès. Elle lui devient préalable.

L'indemnisation devient une pratique judiciaire distincte de celle du pénal et elle s'enclenche dès que la justice est saisie des faits.
a- C'est la logique que crée la décision du Conseil des Ministres du 11 mai 2011. Celle du Fonds public destiné à indemniser les victimes du Mediator et de ses génériques.
b- L'entreprise mise en cause adhère au principe de cette disjonction dès 2011.
Servier, 2019, « Nous avons pris, dès 2011, l’engagement d’indemniser les victimes, sans attendre l’issue des procédures en justice. »

2- Le droit à la « décence »
L'indemnisation « décente » est désormais considérée comme un droit par les justiciables.

Ce droit à la décence est reconnue par l'entreprise :
Leur message se résume à cette phrase,  : « Le Mediator a entraîné chez certains patients des effets indésirables sérieux pour lesquels une réparation et une indemnisation sont nécessaires. Le groupe Servier vit ce drame avec gravité, respect et compassion pour les patients et leurs proches. » (communiqué SERVIER).

3- Le principe de l'attribution de l'indemnisation
Le dispositif officiel stipule :
« a- que l'indemnisation concerne toute personne ayant pris du Médiator et présentant une pathologie en lien avec ce médicament (c'est-à-dire uniquement les atteintes des valves cardiaques et l'hypertension artérielle pulmonaire) devait pouvoir être indemnisée
b- que le doute devait profiter à la victime. »

4- La nouvelle logique
L'Etat défini là le principe crucial de la faute indemnisable et de la personne morale indemnisatrice.

a- Indistinctement et quoi qu'elle est fait par ailleurs ; toute personne qui présente des signes reconnus comme étant liés à une source est indemnisable par cette source.
b- Il suffit d'établir que la source provoque des tords de tels types pour que tous ceux qui présentent ces types soient indemnisés par la source.

Peu importe :
a- les liens juridiques de cette personne à cette source. Elle peut être en tord juridiquement et être indemnisable.
b- l'éventuel acquittement de cette source au procès. Le procès peut acquitter les mis en cause, il n'en reste pas moins que le dol et son lien à la source aura pu être constaté et dûment indemnisé.

5- L'Etat et ses administrations
Ce n'est pas une évidence. En effet, ce dispositif se heurte à la pratique en vigueur qui relie l'indemnisation à la démonstration d'une faute.

Actuellement, l'indemnisation est conçue comme étant le résultat du procès et non son accompagnement.

Cette divergence dans la logique judiciaire va provoquer des heurts dans le fonctionnement du dispositif légal :

Contrairement au principe édicté par l’État, la victime est sommée de justifier de la provenance des signes identiques à ceux de la source qu'elle présente. Ils pourraient ne pas en provenir.

a- « Il est certain, que pour des raisons qu'il convient de mettre en lumière et de déterminer, le collège d'experts ne respecte pas les règles fixées au cours de l'élaboration du Fonds d'Indemnisation pour lequel les associations, comme l’A.V.I.M avait donné leur accord. »
b- Pour le Dr D.M. COURTOIS «les règles du jeu sont changées en cours de partie» c'est-à-dire que les critères d'attribution de l'indemnisation, définis au cours des réunions du Comité de Suivi des Victimes du Mediator, au Ministère de la Santé et en présence du Ministre de l'époque, Monsieur Xavier BERTRAND, sont totalement remis en question.
c- Maintenant, les experts de ce collège demandent par exemple, d'apporter la preuve que :
vous n'avez pas été victime d'angine grave pendant l'enfance
vous n'avez pas pris de médicaments pour soigner la migraine
vous n'aviez pas d'atteinte valvulaire au moment de la première prescription de Médiator ..
que votre pathologie valvulaire entraîne un déficit fonctionnel
Les experts avancent aussi le critère de l'âge pour éliminer des dossiers de victimes de plus de 65 ans … »

6- L'Etat et les entreprises
Pour la même raison de confusion de la faute et de l'indemnisation, l'Etat subordonne l'indemnisation au bon vouloir de l'entreprise mise en cause.


L'entreprise a d'abord tenté « la portion congrue ». Elle n'estiment pas devoir indemniser à un taux élevé. Elle cède au « combat acharné » des victimes. En la circonstance, elle juge devoir faire un geste spectaculaire.
a- Les parties civiles n'en reviennent pas qu'on ne les prenne pas pour des escrocs et qu'on les indemnise « décemment ».
b- La prochaine fois, pour une autre entreprise, ce sera différent. 

7- L'instance décideuse de l'indemnisation associée au pénal ne peut être que la justice.
a- Les mis en cause et les organismes administratifs indépendants, ne peuvent s'y substituer.
b- L'indemnisation ne peut être le fait du Prince ou du bon vouloir des entreprises et autres acteurs civils.
c- Placer la justice en position de recours aux décisions civiles et administratives crée une discrimination entre les parties civiles selon leurs qualités sociales.

C'est la justice qui doit déterminer qui est indemnisable et qui doit réunir les parties pour en définir les modalités.

8- La décision d'indemnisation sort d'un quelconque rapport avec les faits retenus pour le pénal. Elle s'établit uniquement dans la définition du dol et de son origine technique.

C'est la définition retenue par le Fonds d'Indemnisation mis en place par le Ministère de la Santé avec la collaboration des Associations :
« a- Toute personne ayant pris du Médiator et présentant une pathologie en lien avec ce médicament (c'est-à-dire uniquement les atteintes des valves cardiaques et l'hypertension artérielle pulmonaire) devait pouvoir être indemnisée
« b- Le doute doit profiter à la victime. »

Toutes les personnes qui ont consommé du Médiator et qui présentent les symptômes qui lui correspondent sont indemnisables.

La pluralité des possibilités d'infection sont effacées au profit de la règle.

9- L'indemnisation ne peut être prédatrice franche du Trésor public ou spoliatrice nette des finances de l'entreprise.

L'indemnisation est habituellement conçue comme une spoliation de l'entreprise fautive ou du Trésor public.

Il peut paraître de bonne justice que la faute ruine l'entreprise.
a- Dans les faits cela conduit à des procédures sans fin ainsi qu'à l'inégalité des victimes devant l'indemnisation et les tribunaux.
b- Il est absurde de confondre les tribunaux et la justice divine du jugement dernier ; puisqu'en définitive c'est cela qui est recherché.
c- Par ailleurs, les crimes d'une entreprise ne justifient pas à eux seuls sa disparition. Sinon, il en maquerait quelques unes parmi les plus importantes et les plus compétentes.

d- Le Tribunal peut la juger incapable de continuer d'exercer dans tel domaine, par exemple en lui retirant sa licence. C'est autre chose.
La spoliation de l’État est évidemment un frein à la « décence » et au nombre des Indemnisations
.
Le refus de l'affrontement et la pratique de la collaboration permettent à l'indemnisation d'être «  décente » sans nécessairement un « combat acharné ».

Il permettent aussi à l’État d'utiliser l'indemnisation pour réparer un trouble à l'ordre public provoqué par lui-même, par exemple lors de la conséquence excessive d'une action légale ; cf. affaire Théo Lusaka). Ceci sans que les fonctionnaires soient nécessairement mis en cause ni que les victimes aient à justifier de leurs actes.

10)- Conclusion
Une telle réforme de l’indemnisation lui permettrait de devenir un instrument juridique à part entière dans les affaires pénales.

L'indemnisation peut aussi s'émanciper du pénal et être un moyen de la gestion des Hauts fonctionnaires par l’État et la Commission européenne.


Marc SALOMONE











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