Marie-Célie Guillaume
Le Monarque, son fils, son fief
LES ÉDITIONS DU MOMENT
Éditions du Moment
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VII / ROCKY OU LE MONOLOGUE DU
PÉRINÉE
Les premières fois, la scène
avait un peu interloqué. Désormais, les collaborateurs du Château n'y prêtent
plus attention. Sur le perron, devant son bureau privé, allongé sur une grosse
mappemonde en caoutchouc rose, les fesses en l'air et les bras au sol, le
Monarque termine sa quatrième séance hebdomadaire d'exercice. Short noir,
T-shirt noir au dos zébré d'une inscription en forme de tag «Rocky forever! »,
le visage tendu par l'effort, il sue à grosses gouttes. Debout à ses côtés, une
ravissante jeune femme, queue de cheval, casquette, jogging et baskets, le
stimule de sa voix claire et enjouée: « Une, deux, une, deux, allez encore un
petit effort, on y est presque! »
Le Monarque est un sportif. Sa
passion, c'est la boxe, mais il la garde secrète. Quand on veut attirer le
maximum de suffrages, professer son admiration pour deux types qui se cognent
dessus n'est pas politiquement correct. Le grand public connaît plutôt sa
frénésie de course. Au sens propre comme au sens figuré. Le Monarque court tout
le temps, d'où son surnom de campagne: Speedy Rocky. Depuis son avènement, ses
joggings publics et volontairement médiatisés ont contribué à dépoussiérer
l'image de la fonction suprême. Le message politique est limpide, destiné
autant à ses concitoyens qu'aux partenaires étrangers: «Oyez, oyez, bonnes
gens, le Vieux Pays a renoué avec la jeunesse, le dynamisme, le sens de
l'effort. Vous allez voir ce que vous allez voir! » La petite foulée suante
comme symbole d'une renaissance et d'une modernité assumée.
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Les commentaires narquois sur le
galbe de ses mollets et ses poignées d'amour ont fini par avoir raison de la
mise en scène. Le Monarque court toujours mais désormais, il le fait à l'abri
des regards, dans le magnifique parc de deux hectares. du Château. À ses côtés,
les gardes du corps ont été avantageusement remplacés par une jolie Coach,
ancienne gymnaste reconvertie en entraîneuse personnelle des people. Car depuis
quelques mois, sur l'insistance de la nouvelle Première dame, l'impétueuse et
sculpturale jeune femme est devenue une habituée du Château. Quatre fois par
semaine, elle gare son scooter dans la cour, salue avec entrain la Garde
républicaine, et pénètre dans la grande bâtisse pour initier son prestigieux élève
aux secrets des étirements et de son plancher pelvien.
« Le périnée est la clé de ma
méthode, lui avait-elle expliqué le premier jour d'un air grave. Il a été tabou
pendant longtemps, réservé à la rééducation des femmes enceintes. Mais le
périnée est la base de notre corps: s'il n'est pas conservé en bonne forme,
c'est comme si vous aviez une maison sans sol! Vous devenez incontinent, vos
organes descendent, vous développez une mauvaise posture, les rapports intimes
s'en ressentent. Vous savez que les problèmes d'éjaculation précoce sont
souvent dus au périnée? »
Le Monarque avait vivement
protesté: le «cinq minutes, douche comprise », c'était son prédécesseur, lui
n'avait aucun problème de ce côté-là! La Coach avait poursuivi
imperturbablement ses explications.
« Vous devez visualiser votre
périnée, prendre conscience de l'intérieur de votre corps pour que votre âme
s'y sente bien. Le périnée, c'est l'ensemble des muscles situés entre le coccyx
et le pubis au niveau de votre entrejambe. C'est facile de le sentir, il vous
suffit d'imaginer que vous avez un besoin impétueux d'uriner mais que vous
tentez de résister. Vous y êtes? »
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Le Monarque s'était concentré et
avait localisé son plancher pelvien. Depuis, il suivait avec application le
programme de remise en forme que lui avait concocté sa Coach. Objectif affiché:
renforcer la musculature et éliminer la petite brioche, fruit de sa passion
immodérée pour le chocolat. La Coach était extrêmement satisfaite de son élève.
En quelques mois, il avait perdu quatre kilos et diminué de deux tailles sa
garde-robe. «Vous avez un mental de champion! » le complimentait-elle, du haut
de ses vingt-six ans. Le Monarque en rosissait de plaisir.
Après chaque intermède sportif,
et chaque fois que son agenda surchargé lui en laisse le loisir, le Monarque
aime se retrouver seul dans son bureau privé. La pièce qu'il a choisie est
l'ancien cabinet de travail du grand empereur: décoré d'un mobilier
contemporain sobre et clair, il tranche avec le reste du palais. Quatre
portes-fenêtres donnent accès directement au jardin. Les soirs d'été, le parfum
des roses envahit la pièce et la lumière du soleil couchant vient se refléter
dans trois grands miroirs, renforçant l'impression de profondeur et de
luminosité. Figés dans leurs médaillons, les souverains de l'histoire
contemplent avec sévérité leur lointain héritier, qui se retranche là pour
réfléchir, préparer ses discours et se concentrer avant ses grands rendez-vous.
Aujourd'hui, il a une petite heure de liberté. Le temps de se doucher, se
changer et réfléchir au mot qu'il va improviser pour la cérémonie de remise de
légion d'honneur à son amie intime, la Thénardier.
Le Monarque fait les cent pas.
Toujours ce besoin de mouvement, l'action qui précède la réflexion. Ses jambes
arquées, sa démarche un peu raide, il ne lui manque que le chapeau et le colt à
chaque cuisse pour ressembler à l'un de ces héros démodés de Sergio Leone que
sa nouvelle femme affectionne tant.
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« On va encore me la reprocher,
cette médaille-là, mais tant pis. Elle l'a méritée, ma Thénardier. Eux au
moins, ils ont toujours été là pour moi. Et puis avec eux, on rigole! Quand j'y
repense, elles sont loin les vacances à Marrakech, les virées sur l'île de
Beauté, le soleil des Antilles. Et puis, ils m'ont bien aidé à mettre du beurre
dans les épinards. Ça vaut bien une légion d'honneur! Bon lui, il renonce pas,
il veut être ministre qu'il me répète à longueur de journée. Même petit
secrétaire d'État aux choux farcis, ça lui conviendrait! Quel casse-couilles!
Il veut pas comprendre que je peux pas nommer un ancien condamné au
gouvernement! Je peux beaucoup, mais pas ça! Ce qu'il peut être con parfois.
Déjà, je l'emmène partout en voyage, ça lui permet de se pavaner, d'être sur la
photo, de faire ses relations publiques, c'est déjà pas si mal et on me le
reproche bien assez. Mais bon, ma Thénardier, elle, je lui donne sa médaille.
Elle va être contente. Le petit ruban rouge à la veste, ça en jette! Ça lui
permettra de faire un joli bras d'honneur à tous ceux qui lui balancent à la
figure leur mépris et leur morale à la noix. Et puis, maintenant qu'elle
s'occupe du Dauphin, il faut que je la chouchoute. Qu'est-ce qu'il m'épate, le
fiston! Je n'aurais jamais cru qu'il veuille faire de la politique! Il m'en a
tellement voulu d'y consacrer ma vie! Et voilà que ça le prend, lui aussi!
Et quel talent... Qu'est-ce qu'il
parle bien! Tout comme moi, les mêmes formules, les mêmes tournures. Moi qui
croyais qu'il me rejetait, en fait pendant toutes ces années il m'a appris par
cœur! Et puis, il en veut lui aussi, il a faim. J'en reviens toujours pas,
comment il a raflé la présidence du groupe majoritaire au nez et à la barbe de
Culbuto du Centre! Il apprend vite, il a joué la dissimulation, l'effet de
surprise, il a fait vibrer la corde sensible de tous les vieux Féodaux, et hop!
Remarque, il a de qui tenir, mais quand même, j'en reviens pas. C'est tout moi,
mon fils, ma fierté... En plus, il est beau le salaud, lui au moins il est
grand! Et la presse qui l'adore! Pourvu que ça dure, faut pas qu'il aille trop
vite, sinon il va se brûler les ailes.
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La présidence de la Principauté,
il y pense tous les matins en se coiffant, qu'ils disent les journaleux! Bon,
pour une fois, je. crois qu'ils ont pas tort. Bon sang ne saurait mentir! Il
faut que je l'aide, que je le protège. Je vais changer le préfet de la
Principauté, Tigellin va m'en trouver un autre. Celui-ci n'est vraiment pas
fiable, en plus il a l'air de s'entendre comme cochon avec l'Arménien! C'est un
comble, on dirait qu'il fait exprès pour me provoquer. Que de soucis... Quand
je pense qu'il faut que je m'occupe de tout ça! Parce que si c'est pas moi qui
m'en occupe, qui le fera? »
Le Monarque arrête sa marche et
se contemple dans la grande glace en pied. En face de lui, il voit son ms et se
revoit au même âge. La faim de réussir, d'être accepté, reconnu, admiré. Il n'a
jamais douté qu'il y arriverait.
« Aujourd'hui, c'est moi qui suis
ici. Seuls cinq hommes avant moi y sont parvenus! Les meilleurs, la crème de la
crème. Je suis le meilleur, je le leur ai prouvé à tous. Ils ne m'aiment pas,
mais au moins, maintenant, ils me craignent! Et j'en fais ce que je veux. Tous
ces sur diplômés prétentieux, ces technos, ces héritiers... Les héritiers, je
l'ai toujours dit, ils sont faits pour être décapités! Le roi, maintenant,
c'est moi, et moi c'est le peuple qui m'a fait! Ils ne m'ont jamais accepté, je
me suis imposé à eux, ils m'ont craché à la gueule, m'ont traité de traître, et
après ils ont bien été obligés de me supporter en se pinçant le nez. Je ne suis
pas des leurs, je le sais bien, ils me l'ont assez fait comprendre. Je ne suis
pas du système. Mais le système, maintenant, c'est moi! Regarde-les, ces
arrogants d'hier qui rampent à mes pieds et me mangent dans la main... Ils
feraient n'importe quoi pour un strapontin ministériel. Ce sont des chiens,
couchés sous la table à l'affût de la moindre miette de mon pouvoir. Tous des
cons, tous des nuls! Et l'Arménien, qui se croit plus intelligent parce qu'il lit
Chateaubriand dans le texte! En attendant, le bazar qu'il m'a mis!
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Il a cassé tous les jouets que je
lui ai donnés. C'est la débandade au Parti, les militants foutent le camp, les
élus se tapent dessus. Et lui, au lieu de les dorloter, il croit plus utile de
jouer au poil à gratter, de lancer des polémiques. « Nous ne sommes pas des
godillots », « le Parti doit être à l'avant-garde du gouvernement», qu'il dit!
Avant-garde de mon cul, oui! Le Parti est là pour m'obéir, me servir,
m'applaudir. Il a toujours pas compris ça! Et comme si ça suffisait pas, il me
met le feu à la Principauté sous prétexte de remettre de l'ordre dans les
affaires. Augias, Augias. . . et lui, c'est Hercule alors? Mais pour qui il se
prend?! Qu'est-ce qu'il avait besoin d'aller provoquer Don Leonard en lui
coupant les vivres et s'en prenant à sa politique africaine! Don Leonard, il
est peut-être plus tout jeune, mais il est encore teigneux... Et cette
suspicion qu'il jette sur la Principauté! Il a beau me faire des déclarations
de loyauté, je vois bien qu'il veut se venger de moi, il cherche à m'emmerder.
Eh ben, qu'il se débrouille maintenant! S'il est pas capable de tenir sa
majorité, c'est pas moi qui vais le faire pour lui. Et puis, s'il me cherche,
il va me trouver!
Après tout, elle est pas si
mauvaise l'idée de la Thénardier. Le Dauphin à la tête de Little Manhattan, ça
aura de la gueule! Ça lui donnera de l'importance, il pourra étendre son
influence et préparer le terrain pour la Principauté. Et puis surtout, ça fera
les pieds à l'Arménien. Moi, je le connais l'Arménien, l'histoire de la limite
d'âge, ça va lui coller le bourdon. Lui qui se croit irrésistible, on va le
faire passer pour un vieux croûton, l'homme du passé, un has been ! Ça lui
apprendra à me chercher des poux, à moi et à mes amis. Bon, faut que j'arrête
de penser à ce con-là, ça m'énerve. Faut pas que je m'énerve. »
L'homme le plus puissant du Vieux
Pays s'agite, s'échauffe, s'emporte. Chaque jour est une conquête, il n'y a que
ça qui l'anime, l'adrénaline de la bagarre, la hargne de gagner comme si sa vie
même en dépendait.
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Son regard se fait dur, les
gouttes de sueur perlent sur son front, coulent dans son dos, son épaule gauche
est secouée d'un tic nerveux qu'il ne maîtrise pas. Son corps se contracte. Les
deux poings devant le visage, il lance ses coups à la face de l'adversaire
imaginaire qui ose le défier dans le beau miroir au cadre doré.
«Mesdames et messieurs,
applaudissez Joe Frazier, champion du monde de boxe des lourds! Un dieu, une
légende! l'œil du tigre! »
La foule est en délire, son
adoration monte comme un grondement qui prend aux tripes. Dressé au centre du
ring, le Monarque crache au visage de son adversaire terrassé, lève les bras au
ciel, accueille les vivats avec un frisson de plaisir. La jouissance du combat,
le délice de la victoire, rien ne peut égaler ces sensations! « Je suis Rocky,
l'étalon hongrois. Jamais je ne baisse les bras, jamais je ne renonce! La vie,
je la prends à la gorge, et pour rien au monde je ne lâche prise. Je suis
Rocky, je suis l'œil du tigre!
- Monsieur le Monarque?
- …
- Monsieur le Monarque?
- ...»
L'huissier frappe une troisième
fois à la porte, l'entrouvre, hésite, ne sait pas s'il peut entrer.
« Monsieur le Monarque?
- Oui, quoi? Qu'est-ce que c'est?
Qu'est-ce que vous voulez? J'avais demandé qu'on ne me dérange pas!
- C'est votre rendez-vous,
Monsieur le Monarque, il est arrivé.
- Mon rendez-vous? Quel
rendez-vous?
- Madame de P. Elle avait
rendez-vous à 17 h 40, il est presque 17 h 50 et la cérémonie est à 18 heures.
- Madame de P.? C'est qui
celle-là déjà? Ah oui, Madame de P., c'est vrai, j'ai promis de la voir. Bon,
faites-la entrer. »
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Tailleur pantalon strict, un gros
dossier sous le bras, Madame de P. fait une entrée hésitante. Elle est
intimidée, cela ne lui ressemble pas. Il est vrai que c'est la première fois
qu'elle pénètre . dans le bureau du Monarque. Rares sont ceux qui ont ce
privilège, encore plus dans le bureau privé. Et puis l'enjeu est crucial, elle
n'a que dix minutes pour le convaincre, dix minutes dont l'issue décidera du
projet de sa vie. Alors oui, elle est intimidée. pourtant, à cinquante-huit
ans, elle en a vu d'autres.
Petite-fille d'une grande figure
de la Résistance, fille d'un haut fonctionnaire à la carrière exemplaire,
Madame de P. assume désormais sans complexe son côté bourgeoise assagie de
province. Il n'en a pas toujours été ainsi. Montée à la capitale à seize ans
pour y réaliser de brillantes études, elle y fit une jolie carrière comme
professeur agrégée et philosophe à la mode. Un physique anguleux assez masculin
mais pas désagréable, de petits yeux noisette rieurs, un vocabulaire cru et des
mœurs joyeusement émancipées installèrent sa réputation dans les milieux
intellectuels. Elle eut son heure de gloire, plusieurs liaisons tapageuses, un
industriel véreux, un politicien libertin. Bref, une vie animée avant de se
reconvertir en politique sur le tard pour reprendre le flambeau familial après
le décès de son oncle. En province, on ne badine pas avec les mœurs. Du jour au
lendemain, elle adopta un style de vie plus conforme à son milieu d'origine et
ses nouvelles ambitions. Les années ont passé, elle est désormais une figure
respectée de la politique locale: maire d'une ville de 150 000 habitants aux
magnifiques remparts classés monument historique, présidente d'une
agglomération de 265 000 habitants, parlementaire active et appréciée. C'est à
l'Assemblée qu'elle a fait la connaissance de Rocky, au gré de discussions
enflammées sur la réforme de la sécurité publique. Depuis, ils se sont rarement
revus sinon de temps à autre, de loin, à une réception ou un événement
officiel. Il a pris du galon, il vit dans une autre galaxie.
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Elle a perdu sa fraîcheur. Les
cigarettes, l'alcool et d'autres excès peut-être ont laissé des traces. Sa peau
est fatiguée, sa voix éraillée. Mais sa passion pour la vie et les discussions
sans fin est intacte. Son dernier cheval de bataille, c'est le musée d'histoire
médiévale qu'elle veut implanter chez elle, dans le somptueux château du Moyen
âge qui domine la vallée verdoyante. Elle fait le siège du ministère depuis des
mois pour obtenir la subvention qui lui manque et qui conditionne toutes les
autres. Les conseillers du ministre l'ont reçue poliment, ont encouragé la
démarche, suggéré plus de sponsoring privé, évoqué les contraintes budgétaires,
les arbitrages en cours, la priorité au soutien des arts vivants. Elle a rempli
des dizaines de formulaires, rédigé lettre sur lettre, remué ciel et terre.
Mais la porte du ministre lui est restée fermée. Elle a bien pensé
l'interpeller en séance, mais elle sait que cela ne sert à rien. Son budget est
à la diète et, de toute manière, ce n'est pas lui qui décide. Alors, quand le
Monarque est passé la semaine dernière dans sa circonscription pour une de ces
visites de terrain éclair qu'il affectionne, elle n'a pas raté le coche. Entre
la table ronde pseudo-spontanée avec une dizaine d'ouvriers triés sur le volet
et la séquence bain de foule au milieu des militants du Parti, elle a joué son
va-tout, profitant des caméras pour interpeller le Monarque sur ses promesses
culturelles, la préservation de la mémoire et la survie des territoires. Il lui
a souri avec une attention aimable, l'a complimentée sur son dynamisme: « Les
élus comme vous, Madame, font honneur à notre pays. Bien sûr, je vous recevrai
pour découvrir votre projet et, si je le peux, je vous aiderai ». La promesse
avait été enregistrée et diffusée, restait à la concrétiser. C'était l'enjeu de
ce rendez-vous.
«Madame de P. entrez donc! Quel
plaisir de vous revoir.
Comment allez-vous?
- Très bien, Monsieur le
Monarque. Je vous remercie de m'accorder un peu de votre temps. Je sais qu'il
est précieux.
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- Mais non, c'est bien normal.
Vous m'avez trouvé comment à l'usine? Vous avez vu comme je leur ai parlé! Je
sais y faire avec les ouvriers, ce sont des gens virils et simples, alors il
faut leur parler viril et simple. J'ai été bon, non?.
- Très bon, Monsieur le Monarque.
Les retombées de votre
visite sont très positives.
- Le terrain, il y a que ça. Je
dois être partout, montrer que je m'occupe des problèmes quotidiens, que je
n'oublie personne. Au gouvernement, je n'ai que des mous. Vous les entendez,
vous, défendre ma politique? Inaudibles! Et ce ministre de l'Industrie qui
croit qu'il suffit de jouer à Vis ma vie vingt-quatre heures pour se faire
accepter par le monde ouvrier... Quel con, vraiment, il en rate pas une
celui-là! Hein, que j'ai été bon?
- Vous êtes le meilleur, Monsieur
le Monarque. »
Le Monarque s'est approché. Il
est encore sous l'effet de l'euphorie de son combat de boxe imaginaire. Il
savoure l'hystérie adorante de ses groupies, leurs cris de désir qui montent à
lui, il ressent dans tout son corps la tension du duel et l'excitation de la
victoire. Il a chaud, très chaud.
« Regarde dans quel état je suis,
tu ne peux pas me laisser comme ça... »
Son souffle est court, son visage
se congestionne.
« Monsieur le Monarque, enfin,
contrôlez-vous!
- Sois gentille... Comment je
vais faire pour mon discours, là, tout de suite? Tu vois bien que j'ai besoin
de me détendre! Allez, c'est pas grand-chose... » supplie-t-il.
Elle tourne la tête, ferme les
yeux quelques instants. Les images affluent par flashs, souvenirs refoulés
d'une autre vie. Un sourire imperceptible, un léger hochement des épaules. Tout
cela a si peu d'importance, les hommes sont pitoyables.
Cela ne dure que quelques
instants. Le Monarque est pressé et Madame de P. compréhensive. Après tout, se
dit-elle, non sans humour, le Monarque a tellement de soucis, tellement de
responsabilités, il faut bien qu'il les évacue. Si elle peut aider, c'est vrai
que ce n'est vraiment pas grand-chose.
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Apaisé, souriant, le Monarque
ajuste sa cravate et enfile sa veste.
« Bon, faut que j'y aille. J'ai
un discours.
- Et mon musée? On n'en a pas
parlé...
- Ah, c'est vrai, votre musée.
Combien il vous faut?
- Cinq millions.
- Rien que ça!
- C'est un projet très ambitieux.
J'ai aussi des mécènes. Et les collectivités participent. - Cinq millions. Bon,
donnez-moi votre dossier. Vous verrez ça avec Tigellin, il va vous débloquer
l'affaire. Je dois vraiment y aller. » Et le Monarque sort de son pas rapide.
« ... Monsieur le Monarque!
Merci! »
Mais il ne l'entend pas, il est
déjà loin. Il court vers la Salle des fêtes où l'attend, rayonnante, la
Thénardier, avec son époux, les enfants, les amis. « Eh bien, c'est ce qu'on
appelle boucler un dossier en un tour de main! » s'exclame Madame de P.,
secouée d'un irrépressible fou rire. « Quand je pense qu'on dit que
l'administration est lente... Alors que, en fait, il suffit de trouver le bon
canal! ».
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