L'histoire
secrète du livre qui embrase la Sarkozie
Créé le 24-07-2012 à 16h03 - Mis à
jour à 17h05
Un
monarque : Sarkozy. Un fils : Jean. Un fief : les Hauts-de-Seine. C'est le
récit de Marie-Célie Guillaume, auteure du best-seller politique de l'été.
Mots-clés
: Hauts-de-seine, Patrick Devedjian, Marie-Célie Guillaume
Jean Sarkozy devant Patrick
Devedjian et Marie-Célie Guillaume, le 31 mars 2011 à Nanterre (Christophe
Morin/IP3 PRESS/MAXPPP)
Marie-Célie
Guillaume ne court plus les couloirs du conseil général des Hauts-de-Seine.
Elle sillonne l'ouest parisien à la recherche d'un nouveau logement. Entre deux
interviews. Pour la première fois, ce n'est plus Patrick Devedjian qui est dans
la lumière, c'est elle. Elle qui a été sa directrice de cabinet dans le
"92" pendant cinq ans, après l'avoir conseillé cinq autres années
lorsqu'il était ministre de Jean-Pierre Raffarin. Elle qui se voit contrainte
de mettre un terme à sa carrière en politique le jour où s'ouvrent les tribunes
médiatiques.
Son
malheur est aussi son bonheur : un livre, son premier, "le Monarque, son
fils, son fief", publié en juin aux Editions du Moment. Plus subtil qu'un
brûlot, moins direct qu'un pamphlet, mais pas moins féroce : un récit à clés
qui croque avec acidité un quinquennat de vie politique ordinaire dans les
Hauts-de-Seine ; cinq années de turpitudes.
Marie-Célie
Guillaume. Sur la couverture, s'affiche le seul vrai nom de tout le livre. A
l'intérieur, s'ébroue une galerie de politiques dont toute ressemblance avec
des personnages existants ne saurait être fortuite. Nicolas
Sarkozy n'en est que plus ridicule sous les
traits du Monarque, comme Jean, surnommé le Dauphin, et les époux Balkany,
campés en Thénardier. Seuls surnagent l'Arménien, qui prend les traits de
Devedjian, et la Baronne, derrière qui se dissimule l'auteur.
La
bataille de l'Epad
En
quelques jours, l'ouvrage s'est hissé en tête des ventes. Plus rapidement
encore, Marie-Célie Guillaume a été descendue en flèche par ses collègues. A 43
ans, elle se dit "en plein désordre", "entre ombre et
lumière". Impossible de savourer un plaisir gâché d'emblée ? C'est plus
compliqué.
Je
savais que ce livre allait provoquer des réactions, mais je ne savais pas quoi.
C'était une mise en danger à l'aveugle que j'étais prête à vivre. Je savais que
cela allait secouer. Ca a secoué très fort !"
Ou
l'histoire d'un suicide politique à la fois volontaire et
inconscient. Pour comprendre, il faut remonter à la genèse du livre. Un
autre contraste. Un lendemain de victoire qui ressemble à une défaite. Les
élections cantonales de mars 2011 doivent sonner le glas de Patrick Devedjian à
la présidence du conseil général. Après avoir trahi sa promesse de lui confier
le ministère de la Justice, Nicolas Sarkozy lui avait cédé en 2007 les clés de
son fief, comme celles de l'UMP,
en guise de dédommagement. Trois ans plus tard, le même Sarkozy, qui lui a déjà
ôté les rênes du parti, décide de lui arracher des mains le trousseau des
Hauts-de-Seine.
Quel
crime de lèse-majesté aurait commis l'Arménien ? Toucher à la famille, et plus
particulièrement au Dauphin. Mettre des bâtons dans les roues du carrosse qui
devait mener ce dernier tout droit à l'Epad, et plus loin encore. Pour donner
l'assaut, le Monarque mandate dame Thénardier, vice-présidente de la
collectivité. Les couteaux sont tirés. Las, elle n'est même pas réélue dans son
canton. Trop vert et toujours marqué au fer rouge par son échec à l'Epad, le
Dauphin est neutralisé. La bataille est perdue.
A
l'Elysée, Sarkozy est obligé de déposer les armes aux pieds de Devedjian, à la
seule condition de virer sa plus fidèle collaboratrice qu'il tient comme le
bras armé des coups portés à son fils. Devedjian ne s'exécutera pas. Rien ne
l'y oblige. Pas cette fois-là. C'est à cet instant que Marie-Célie Guillaume,
"meurtrie physiquement et moralement", se transforme en Baronne.
La
victoire a été d'une terrible tristesse. On s'était battu et combattu et, du
jour au lendemain, tout était fini, tout le monde devait s'aimer. Les
politiques y arrivent très bien, y compris Devedjian, moi j'ai eu un gros
passage à vide. J'avais besoin d'évacuer cette histoire. A la fin de l'été, je
me suis mise à écrire en m'amusant, à la manière d'une satire..."
Une
livre pour s'en remettre
La
thérapie fonctionne. La directrice de cabinet est heureuse de retrouver
l'hémicycle du conseil général. A la tribune, derrière le président, elle
observe la "comédie humaine". Tous ces élus locaux devenus des
personnages aux noms aussi savoureux qu'humiliants : Trépané du Local
(Alain-Bernard Boulanger), Cinglé Picrochole (Philippe Pemezec), Chihuahua
(Thierry Solère)... "J'avais envie de les voir pour alimenter mon livre.
Ils devenaient presque attachants."
La
nuit, les week-ends, les pages se noircissent. Les trois enfants de Marie-Célie
Guillaume - 16, 14 et 5 ans - se surprennent aussi à la voir aux aurores devant
son ordinateur, elle, la lève-tard de la famille. Seuls sont au courant du
projet une amie et son mari, "son roc, son point d'équilibre, extérieur à
la politique", un spécialiste en ressources humaines. L'ouvrage ne prend
définitivement forme qu'à la lecture des premiers chapitres par Yves Derai, son
ami et éditeur qui tope aussitôt, à l'inverse de Patrick Devedjian.
Il
n'a pas lu le résultat final avant qu'il ne soit imprimé, mais il avait vu
quelques extraits et avait compris de quoi il retournait. Il m'a alertée :
'Fais attention, est-ce que tu as envie de ça ? C'est vrai que le combat a été
dur, mais après tout...'"
Elle
en a envie. Et les coups redoutés tombent. Actif retraité politique, Nicolas
Sarkozy multiplie les appels téléphoniques pour réclamer à nouveau la tête de
la Baronne. Il passe une soufflante à la présidente du groupe UMP au conseil
général des Hauts-de-Seine, Isabelle Caullery, qui, tétanisée, préfère
démissionner. Pour atteindre Marie-Célie Guillaume, un quarteron d'élus décide
alors de viser son patron. Jean Sarkozy en tête dans "le Figaro" : "J'accuse Patrick
Devedjian. A travers son assistante de cabinet, il a écrit ce livre, ce qui
donne une très sérieuse indication de son degré de courage." Après les
paroles, les actes. Les mêmes menacent de bloquer le fonctionnement de
l'assemblée départementale.
Ils
ont fait un tel foin contre le livre qu'ils en ont assuré la promotion, s'amuse
Marie-Célie Guillaume. A leur place, je l'aurais plutôt traité par le mépris et
le silence. J'ai beau avoir écrit sur eux, ils me surprennent encore. Ce qui me
rassure sur la fraîcheur que j'ai gardée."
De
la fraîcheur et de l'expérience. Le clair-obscur, toujours. Les réflexes de
l'ombre reviennent à la vitesse de la lumière. Peu importe l'exaltation, la
froideur politique n'est jamais loin. Jusqu'à son éviction, devenue inéluctable,
selon elle :
Si
Devedjian avait tenu coûte que coûte à me garder auprès de lui, il aurait fait
une faute politique. Il était dans une situation de crise, il l'a gérée en
homme politique. Avant, je faisais mon boulot et j'étais juste un prétexte pour
l'affaiblir. Là, c'est moi qui ai agi."
Elle
ne regrette rien et rien ne la choque. Un mail anonyme est envoyé aux
journalistes en même temps que son livre, dénonçant sa double rémunération au
conseil général et à l'UMP, son confortable logement de fonction, sa voiture
avec deux chauffeurs, les voyages avec Devedjian en Orient... Elle assume :
"Je n'ai jamais rien fait d'illégal." Les avantages de la fonction.
Machisme
en prime
Au
milieu du livre, elle assène le coup de grâce au Monarque. Dans son bureau, il
reçoit une élue quand son souffle devient court : "Sois gentille... Tu
vois bien que j'ai besoin de me détendre ! Allez, c'est pas
grand-chose..." Là encore, pas de quoi s'offenser :
J'ai
voulu parler de la relation entre un homme de pouvoir et le sexe. La scène
existe, mais c'est universel. C'est peut-être la seule scène du livre qui n'est
pas violente. Elle est triviale. Cette élue s'en fout, elle en a vu d'autres.
Ouand on est une femme politique, si on n'est pas capable de gérer ça, il vaut
mieux changer de métier."
Marie-Célie
Guillaume dit, elle, s'en tirer en pareil cas en distribuant une paire de
gifles, mais ne veut porter "aucun jugement moral" sur celles qui
cèdent. Et que Jean Sarkozy ne vienne pas jouer les fils effarouchés. Elle
raconte une autre scène qui, elle, ne figure pas dans le livre :
Un
jour, on était dans le hall du conseil général et arrivent deux jolies blondes
qui avaient rendez-vous avec lui. Je lui dis bêtement : 'Dis donc, Jean, tu
t'emmerdes pas !' Il me regarde d'un air scandalisé : 'Pourquoi tu dis ça ? Je
n'ai pas hérité de toutes les tares paternelles !'"
Le
machisme, assure-t-elle, est d'affirmer que Patrick Devedjian a écrit le livre
parce qu'elle n'en aurait pas été capable. Elle qui a fait hypokhâgne,
Sciences-Po et un master de relations internationales à Boston. Des diplômes
dont elle compte se servir pour rebondir. Dans une autre sphère. "La
politique, ça assèche." Elle en aurait fait le tour depuis 1996,
lorsqu'elle avait rejoint l'équipe d'Edouard Balladur, qui n'était déjà plus
Premier ministre, par l'intermédiaire d'un sarkozyste historique, Nicolas
Bazire.
Pour
l'heure, elle déménage et cultive la dichotomie jusque dans son couple :
"Mon mari est un peu emmerdé, c'est un sédentaire. Mais, moi, j'ai
toujours bougé, parce que je suis fille de diplomate. J'ai besoin d'action,
d'incertitude." Son avenir professionnel attendra la rentrée. Là, elle
saura si elle n'est vraiment plus une politique.
Article
publié dans "le Nouvel Observateur" du 19 juillet 2012.
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